L’iconographie du Patriarche Abraham |
Abraham est un des pères spirituels ou « patriarches » de nos trois grandes religions monothéistes : le christianisme, l’islam, le judaïsme. A ce titre son histoire a été racontée en images depuis très longtemps. Néanmoins, raconter une histoire en « images » est plus ou moins bien perçu par différents courants religieux. Ainsi la quasi-totalité des images connues provient de sources chrétiennes. Les scènes les plus anciennes sont souvent des sculptures. Les églises catholiques et orthodoxes encouragent des représentations des scènes bibliques pour décorer leurs sanctuaires : tableaux et vitraux chez les catholiques, mosaïques et icônes chez les orthodoxes. Pour les protestants, les images sont souvent des illustrations qui permettent de donner vie aux documents écrits et en particulier la Bible. Chez les juifs et les musulmans il est beaucoup plus difficile à trouver des références imagées à Abraham, qui joue néanmoins un rôle essentiel dans leurs croyances.
La vie d’Abram (Abraham) racontée dans le livre de Genèse.
A travers les images on peut situer le personnage d’Abraham et suivre son parcours semé d’embûches comme il paraît dans l’Ancien Testament. Sa fidélité à Dieu lui permet de triompher dans toutes les situations. Nous connaissons tous l’apogée de son histoire, quand Dieu lui demande de sacrifier son fils (Isaac pour les chrétiens, Ismaël chez les musulmans). Mais avant cela Dieu intervient de nombreuses fois. Des artistes de renom, et d’autres inconnus, nous permettent de suivre ses pas :
- quand il quitte son pays avec son neveu Lot dont il se séparera par la suite (exemple : gravure de Gustave Doré, 1865),
- quand Melchisédech lui apporte du pain et du vin, préfigurant l’Eucharistie (exemple : tableau de Dierec Bouts l’aîné, 1464-1467, Eglise St. Pierre, Louvain)
- quand Dieu lui impose la circoncision (exemple : vitrail de la Nouvelle Alliance, cathédrale St. Etienne de Bourges, XIIIe s.),
- quand Abraham reçoit les trois anges qui préfigurent la Trinité (exemple : mosaïque de la cathédrale de Monréale en Sicile, XIIe s.)
De nombreux artistes ont représenté le sacrifice d’Abraham : parmi les tableaux les plus connus citons Caravage (1594-96) et Rembrandt (1635). Egalement un très beau tableau de Laurent de la Hire (1650) du Musée des Beaux-Arts d’Orléans.
Abraham dans l’iconographie arlésienne.
Les représentations d’Abraham trouvées à Arles sont toutes des sculptures : aucun tableau ni vitrail ni tapisserie à Arles ne semble représenter Abraham, sauf erreur de ma part. Elles datent de deux périodes :
- le 4ème siècle pour les sarcophages exposés au Musée Départemental de l’Arles Antique ;
- le 12e siècle pour les représentations sculptées sur le portail et les galeries du cloître de Saint-Trophime.
Au moins 4 sarcophages paléochrétiens exposés au Musée d’Arles Antique portent une référence à Abraham : sur tous les quatre il s’agit du sacrifice d’Isaac. Le sujet paraît être l’un des plus populaires de ceux de l’Ancien Testament, avec, par exemple, l’histoire des trois hébreux Shadrak, Meshak et Abed-Nego dans la fournaise, ou alors Daniel dans la fosse aux lions. Ces histoires ont toutes un rapport avec l’idée de « résurrection » puisque les héros ont tous été sauvés de la mort in extremis par Dieu. Dans ces représentations des premiers siècles du christianisme parfois Dieu n’est pas représenté comme un ange mais simplement comme une main qui sort d’un nuage pour arrêter le couteau d’Abraham au moment où il lève le bras pour tuer son fils.
Le portail de la primatiale Saint Trophime (12e s.) présente Abraham avec les autres patriarches Isaac et Jacob recevant les âmes des élus, comme des enfants innocents, au paradis. Les patriarches sont assis à la droite du Christ et sur des trônes qui sont en fait autant de sarcophages ouverts d’où sortent les âmes. Le cortège des élus qui surmonte le piedroit nord du portail est mené par un ange qui présente l’âme d’un innocent à Abraham, et on voit d’autres enfants assis sur ses genoux. Cette façon de représenter Abraham, comme un père qui accueille dans son sein toute l’humanité, n’est pas issue de l’Ancien Testament : il s’agit du « Jugement Dernier ». Et cette vision du « sein d’Abraham » est encore très vivante aujourd’hui, notamment dans certains chants spirituels des noirs américains (« negro spirituals »). Elle était déjà une réalité au 12e siècle.
Dans la galerie nord (galerie romane) du cloître de Saint Trophime, datée aussi du 12e siècle, Abraham est représenté deux fois :
- Une fois pour la scène du sacrifice de son fils Isaac. Cette scène occupe trois côtés d’un chapiteau dans la galerie nord. Le thème de cette galerie est la résurrection, comme elle apparaît dans le Nouveau Testament, avec notamment celle du Christ, bien sûr, mais également celle de Lazare. Mais l’importance de cette scène du sacrifice d’Isaac, tirée de l’Ancien Testament, témoigne de l’association entre le sacrifice d’Isaac, fils d’Abraham, avec celui de Jésus, fils de Dieu. En tournant autour de chapiteau du gauche à droite on rencontre d’abord l’ange qui retiendra la main d’Abraham, puis Abraham avec Isaac prêt à être sacrifié, puis finalement le bélier partiellement caché par un autre chapiteau, bélier qui sera sacrifié à la place d’Isaac.
- La deuxième scène représentée dans cette galerie est la rencontre entre Abraham, sa femme Sara, et les trois anges. Les anges sont sur le côté gauche du chapiteau. Abraham les reçoit généreusement : il tient sur ses épaules le veau « tendre et bon » qu’il prépare pour leur repas. A côté de lui se tient Sara, qui rit quand les anges lui annoncent qu’elle aura un fils, car elle est très âgée.
Cette scène est restée populaire chez les artistes plus modernes. Mais souvent la représentation moderne de cette trinité insiste plus sur les trois anges seuls, ou avec Abraham ; Sara est souvent absente. Or la présence de Sara est importante dans cette iconographie du 12e siècle : c’est ce qui nous permet de rattacher cette histoire au thème de la résurrection. Sara, vieille et sans enfant, va quand même donner une descendance à Abraham et ainsi lui permettre de « revivre ».
Janice Lert,
Guide conférencière agréée par le Ministère de la Culture
Source pour l’iconographie arlésienne :
Rouquette, Jean-Maurice, Provence Romane, Editions Zodiaque, 1974.